dimanche 16 mars 2014

La vague des autoportraits

Un selfie est une photographie de soi-même prise avec un téléphone intelligent, seul ou avec d’autres personnes. Ce terme a été élu mot de l’année par le Oxford Dictionaries. Comme le souligne le dictionnaire, l’autoportrait n’a rien de très neuf, puisqu’il y en a maints exemples exécutés à la peinture à l’huile ou au crayon. Cependant aujourd’hui chacun dispose dans sa poche d’une technologie permettant de réaliser rapidement un autoportrait et de le publier. Lev Manovich, grand spécialiste des nouveaux médias, et son équipe se sont intéressés à la pratique des selfies et ont réalisé une étude intéressante à partir d’un corpus important. Ils ont en effet sélectionné au hasard 120’000 photos sur un total de  656’000 images collectées sur Instagram et provenant de cinq villes (New Yorl, Sao Paulo, Berlin, Bangkok, Moscou). Grâce à un outil de crowdsourcing, chaque photo a pu être déterminée comme étant ou non un selfie. Toujours grâce au crowdsourcing, le sexe, l’âge et le nombres de personnes sur l’image. Ensuite, un algorithme de reconnaissance faciale a permis d’établir l’état émotionnel de la personne. Enfin, des membres de l’équipe de recherche ont regardé les photos manuellement et ont découvert des erreurs. L’étude finale se base sur un corpus de 640 selfies par ville.
Capture d’écran 2014-03-16 à 22.54.44
Cette étude a permis d’établir un certain nombre de faits intéressants : environ 4% des photos publiées sur Instagram sont des selfies. Les autres photographies représentent d’autres personnes, des monuments, des salles, des oeuvres d’art, des animaux de compagnie, le contenu des assiettes, etc… La majorité des selfies ont été prises par des femmes (55,2% à Bangkok et 82% à Moscou). L’âge médian des sujets des selfies est de 23,7 ans. En revanche, à partir de 30 ans, c’est une majorité d’hommes qui publient des selfies sur Instagram. On sourit plus à Bangkok et à Sao Paulo que dans les trois villes occidentales, Berlin, Moscou et New York. Les femmes prennent plus souvent des poses particulières que les hommes.
Comment interpréter ces selfies ? S’agit de narcissisme, d’exploration de soi, de marketing de soi ? Il appartiendra à l’histoire de la photographie, à la sociologie ou à la psychologie de répondre aux nombreuses questions suscitées par ce phénomène de masse popularisé par les grands de ce monde.

mercredi 29 janvier 2014

La radeau de la méduse

Les réseaux sociaux basés sur les questions et les réponses ne sont pas vraiment neufs. Les forums ont été utilisés à cette fin depuis très longtemps et continuent à l’être de manière très efficace. Daphne Koller déclarait, à propos des forums de la plateforme de e-learning Coursera, qu’un étudiant postant une question recevait une réponse en moyenne 20 minutes plus tard. Ensuite est venu Yahoo Answers, puis Quora (et sa version française, Gozil). Quelle est donc la nouveauté apportée par le dernier-né du genre, Jelly ? Cette application pour téléphone intelligents a été créée par Biz Stone, le cofondateur du site de microblogging Twitter, et par Ben Finkel co-fondateur de Fluther, un site de questions et de réponses qui a déjà une méduse comme emblème.
Jelly est tout d’abord une application pour téléphone, disponible pour iPhone et Androïd. Elle s’adresse donc à un public qui a tendance à accéder au Net par ce biais plutôt que sur un ordinateur. Ensuite, elle a une ergonomie très simple et efficace. Les sites de questions et réponses sont habituellement basés sur du texte. Dans Jelly, tout démarre avec une image, sur laquelle on écrit sa question. Les questions arrivent comme un flux. L’utilisateur lit la question, peut lire la pile des réponses déjà données (on est rarement le premier à répondre) et répondre lui-même. Si on n’a pas la réponse à cette question ou bien si elle ne nous inspire pas, il suffit de la tirer vers le bas de l’écran pour la faire disparaître et passer à la suivante. Jelly permet aussi à celui qui pose une question de signifier aux visiteurs qu’il a obtenu une réponse satisfaisante et également (ce qui est essentiel) de dire merci à ceux qui ont répondu.
Jelly est une manière de poser des questions au moment où elles nous viennent à l’esprit et l’ensemble des réponses ne va pas constituer peu à peu une sorte d’encyclopédie. Cela peut changer la nature des questions : cela va donc du dépannage à la demande de conseil d’achat, en passant par des photographies énigmatiques dont il faut deviner le sujet et des questions d’actualité. Le côté ludique l’emporte sur l’aspect encyclopédique et pourra peut-être conquérir un public jeune, hyperconnecté et vivant dans l’instant présent.
Logo Jelly
C’est l’avenir qui dira si Jelly sera aussi inconsistant que de la gelée et se perdra dans la mer des nombreuses tentatives de créer The Next Big Thing ou bien si ce sera une belle méduse qui nous permettra de nous orienter dans l’océan du savoir partagé.

mercredi 9 octobre 2013

Imprimez la décoration d’intérieur de vos rêves

Jusqu’à présent la personnalisation du décor intérieur était très onéreuse. Les simples particuliers ne pouvaient guère s’offrir des lambris dorés ou des moulures. Avec la possibilité d’imprimer des éléments d’architecture en 3D, ce sera peut-être à la portée de chacun. C’est en tout cas ce qu’essaye de démontrer le projet Digital Grotesque de l’Ecole Polytechnique de Zurich. Deux architectes, Michael Hansmeyer et Benjamin Dillenburger, ont créé un algorithme permettant de  modéliser l’intérieur d’une pièce qui apparaît à la fois synthétique et organique. Le décor ainsi généré rappelle un peu l’univers d’Alien de H. R. Giger. Le modèle numérique comporte 260 millions de surfaces. Les blocs du modèle ont ensuite été imprimés. La matière choisie est la pierre de sable dans laquelle on a injecté une résine pour en boucher les pores. Le tout a été assemblé en une salle d’une hauteur de 3,2 mètres et d’une surface de 16 mètres carrés. Il a fallu un an pour développer l’algorithme, un mois pour imprimer les éléments en 3D et un jour pour assembler le tout.
Schéma du projet Digital grotesque
Digital grotesque
Cette expérience ouvre de nouvelles perspectives dans diverses directions. Ainsi il sera possible de personnaliser les nouveaux bâtiments selon le goût de leur propriétaire. La restauration d’édifices anciens avec des décors sophistiqués pourra peut-être être réalisée à des coûts moindres. Et pourquoi ne ferait-on pas ainsi des décors pour le cinéma, le théâtre ou pour des expositions? Dans un avenir plus lointain, il sera possible de créer des bâtiments sur la Lune ou sur Mars simplement avec des imprimantes 3D et des matériaux disponibles sur place. La construction est certainement l’un des domaines qui sera le plus affecté par la technologie des imprimantes 3D.

mardi 8 octobre 2013

Quelqu'un pense à vous

Qui vous souhaite votre anniversaire ? Les membres de votre famille, certains de vos amis et certains de vos collègues. Parfois aussi certains commerçants vous envoient une petite carte. Facebook rappelle quant à lui à vos amis de vous souhaiter un bon anniversaire. Maintenant Google pense aussi à vous ce jour-là. Il vous suffit d’ouvrir un compte gmail et de donner votre date de naissance exacte pour voir la page d’entrée de Google afficher des gâteaux d’anniversaire décorées avec des bougies le jour de votre anniversaire :
Page d'accueil de Google adaptée pour le jour anniversaire de l'utilisateur

dimanche 29 septembre 2013

Voici venu le temps de la cyberarchéologie

Cette semaine, j’ai eu l’occasion de participer, à Delphes en Grèce, à un congrès consacré à l’archéologie virtuelle en relation avec les musées et le tourisme culturel, organisé par l’Université de l’Egée (VAMCT 2013). Ce congrès était consacré aux thèmes les plus variés : visualisation 3D en archéologie et dans le domaine du patrimoine, musées virtuels, communautés virtuelles, réalité augmentée, gamification, storytelling, technologies pour appareils portables, web 2.0, numérisation, exploitation des données, etc.
L’archéologie virtuelle n’est pas un terme nouveau, mais pendant longtemps ce concept a été confondu avec la visualisation de reconstitutions avec des moyens informatiques. De telles reconstitutions remontent aux premiers temps de la visualisation informatique et étaient disponibles sur CD-Rom, avant Internet. Cependant ce domaine s’est considérablement enrichi au fur et à mesure que les technologies progressaient.
Les technologies pour appareils portables permettent de développer des applications de réalité augmentée permettant au visiteur d’un site archéologique de faire apparaître sur son téléphone ou sur sa tablette un bâtiment tel qu’il se présentait dans le passé. Les différents senseurs de son appareil (GPS, gyroscope, webcam, …) permettent de préciser en temps réel sa position en temps réel et superposent la reconstitution sur les vestiges visibles.
Ce congrès a aussi montré que les reconstitutions en 3D vont au-delà de la simple représentation. Elles permettent de faire des simulations : il est par exemple possible de tester plusieurs hypothèses sur l’illumination intérieure d’un temple ou sur la disposition du décor sculpté. Ces reconstitutions deviennent des outils de recherche. De plus, des logiciels aussi simples et répandus que Sketch up permettent de les créer.
Olympia Temple
Olympia Temple
A. Patay-Horváth (Archaeological Institute of the Hungarian Academy of Sciences – Institute for Ancient History, University Eötvös Loránd, Budapest, Hungary), The Contribution of 3D Scanning and Virtual Modeling to the Reconstruction of the East Pediment of the Temple of Zeus at Olympia (PDF)
L’Université de Californie San Diego a proposé une session entière consacrée au concept de cyberarchéologie. Ce terme est un peu malheureux. Il rappelle celui de cybernétique, une des disciplines qui a concourut  au développement de l’informatique. Néanmoins il fait un peu vieillot. J’aurais personnellement opté pour celui d’archéologie assistée par ordinateur. L’idée de la cyberarchéologie reprend des idées déjà exprimées dans les années 70, lorsque Jean-Claude Gardin essayait de créer des systèmes-experts pour faciliter la recherche. A l’époque, les technologies informatiques étaient encore chères et lourdes. Ce rêve s’est enlisé et l’informatique a été utilisée au cas par cas en archéologie, et seulement dans quelques parties du processus allant de la fouille au musée. La cyberarchéologie telle que la voient les chercheurs américain assure un continuum entre l’enregistrement des données sur le terrain, leur exploitation en laboratoire et leur restitution face au grand public dans le musée. Mieux encore, ces technologies permettent une immersion dans le terrain numérisé et reconstitué. La fouille, qui est une destruction matérielle, est numériquement reproductible, permettant au chercheur de revenir à tout moment à l’un des moments de l’excavation. Bien entendu, cela suppose que les bons choix stratégiques aient été faits au départ. Mieux encore, cette immersion se fait au moyen d’avatars.
Il est encore trop tôt aujourd’hui pour dire comment cette approche novatrice se traduira dans les musées. Les curateurs devront être à même de comprendre les processus de fouilles et le contexte archéologique des objets pour exploiter ces nouvelles possibilités. Le visiteur pourra se plonger au coeur de la fouille et voir où se trouvait l’objet avant sa mise au jour. Il traversera les couches et découvrira les différents artefacts autour de lui. Peut-être même pourra-t-il reconstituer lui-même les puzzles 3D que constituent les objets cassés.

jeudi 29 août 2013

Emergence de l’idée d’une encyclopédie mondiale permanente

Depuis la fin du 19ème siècle, les connaissances avaient explosé dans le monde occidental. L’alphabétisation de la société, le développement de la recherche scientifique ainsi que des progrès techniques dans l’imprimerie ont généré une augmentation des publications sous les formes les plus diverses : livres, revues, journaux. Le besoin de classer ces informations et d’en faciliter l’accès se fit sentir. Dès les années 30, des réflexions sur un système universel des connaissances, une sorte de préfiguration du World Wide Web, ont commencé à émerger dans le milieu des spécialistes de la documentation. En voici deux exemples.
Paul Otlet (1868- 1944) est un visionnaire à la fois auteur, entrepreneur, juriste et activiste belge. Il crée en 1905, avec Henri Lafontaine, le système de « classification décimale universelle » (CDU) sur la base de la classification de Dewey, ainsi que le standard de 125 sur 75 mm imposé aux fiches bibliographiques, toujours en vigueur dans les bibliothèques du monde entier. Paul Otlet met en place de nombreuses initiatives, toujours dans le but de réunir le savoir universel. Il les regroupe dans le Palais Mondial-Mundaneum de Bruxelles. Le Mundaneum comportait seize salles didactiques, un répertoire bibliographique comprenant douze millions de fiches, un musée de la Presse avec 200 000 spécimens de journaux du monde entier. Il a été fermé en 1934 pour libérer de la place et les collections ont été déménagées à plusieurs reprises. Ces collections se trouvent actuellement à Mons, dans le nouveau Mundaneum. Paul Otlet publie en 1934 un ouvrage qui fait toujours autorité dans le domaine de la documentation : le “Traité de documentation”. Dans cet ouvrage qui fait toujours autorité aujourd’hui, il pose les bases de la documentation moderne. A la fin de l’ouvrage, il envisage la mise en place d’un réseau universel d’information et de documentation, constitué d’entités nationales et locales qui, si elles sont hiérarchiquement organisées, n’en sont pas moins invitées à collaborer entre elles[1]. Paul Otlet énumère également dans son traité ce qu’il considère comme les six étapes de la documentation. La sixième étape est celle de l’hyperdocumentation, correspondant au stade de l’hyperintelligence. Des documents correspondants aux divers sens (visuels, sonores, tactiles, etc.) sont enregistrés selon des technologies correspondantes et mêlés [2]. Enfin, déjà à cette époque, grâce à sa connaissance des progrès technologiques, Paul Otlet anticipe des possibilités de consulter des documents depuis chez soi :
« On peut imaginer le télescope électrique, permettant de lire de chez soi des livres exposés dans la salle teleg des grandes bibliothèques, aux pages demandées d’avance. Ce sera le livre téléphoté[3]»
Paul Otlet a posé les bases de la documentation moderne. Nombre de ses propositions sont encore utilisées aujourd’hui dans des bibliothèques du monde entier. Sa vision élargie de la documentation et sa connaissance des progrès techniques lui ont fait entrevoir ce qui constitue aujourd’hui Internet et notamment sa partie hypertextuelle, le WWW, non seulement dans ses aspects techniques, mais aussi organisationnel (réseau) et même philosophiques (hyperintelligence).
H. G. Wells (1866-1946) est un auteur britannique surtout connu pour ses romans de science fiction comme la Machine à explorer le temps (1895) ou la Guerre des mondes (1898). Il a aussi écrit des ouvrages de réflexions politiques et de vulgarisation scientifique. En 1937, il participe au Congrès Mondial de la Documentation Universelle[4]. En 1939, il publie dans l’Encyclopédie française[5] un texte intitulé « Rêverie sur un thème encyclopédique ». Dans ce texte, il relève que, malgré l’accroissement des connaissances, les encyclopédies sont toujours conçues comme celles du 18ème siècle. Cependant les technologies modernes comme la radio, la photo, les microfilms, permettent d’assembler une collection de faits et d’idées de manière plus complète, succincte et accessible. Il émet l’idée d’une encyclopédie permanente mondiale qui serait mis à jour par un grand nombre de personnes. Cette encyclopédie irait au-delà d’un simple répertoire. Elle serait également accessible partout:
And not simply an index; the direct reproduction of the thing itself can be summoned to any properly prepared spot[6].
H. G. Wells voit aussi dans cette encyclopédie le moyen de sauver la mémoire humaine : désormais son contenu serait copié et réparti, si bien qu’il serait préservé des destructions[7]. Enfin H. G. Wells considère qu’elle ne s’adresse pas seulement aux universitaires, mais également aux familles et aux grand public et qu’elle constituera un outil pour les enseignants. Il termine ce texte en soulignant qu’une telle initiative ouvrirait la voie à la paix du monde en réalisant l’unité des esprit
H. G. Wells, 1922H. G. Wells en 1922
Paul Otlet participait lui aussi au Congrès Mondial de la Documentation Universelle. Nul doute que les idées des deux hommes sont très semblables. Pour eux, les nouvelles technologies ouvrent des perspectives nouvelles pour répondre au défi de l’augmentation des connaissances et pour les rendre facilement accessibles à chacun. L’organisation des connaissances doit être universelle, décentralisée et non limitée à un seul pays. Enfin tous deux voient un rapport entre cette mise à disposition des connaissances et l’avènement d’une ère nouvelle pour le monde où la paix règnerait grâce à un esprit humain unifié. Ils avaient entrevu les possibilités qu’Internet apporte aujourd’hui pour tous ceux qui souhaitent acquérir et mettre à disposition des connaissances. Le printemps arabe a aussi montré que l’accès facilité à des informations permet à des populations dans des régimes non démocratiques de prendre conscience de leur situation et de se soulever.
Bien avant qu’Internet ne connaisse un succès mondial, certaines personnes très en avance sur leur temps avaient exprimé les besoins auxquels le réseau mondial pourrait répondre.



[1] Otlet Paul, Traité de documentation, Bruxelles, Editions Mundaneum, 1934, p. 415 (point 424, 1) ; http://paul-otlet.mazag.net/wp-content/uploads/2012/06/otlet-4.pdf
[4] Paris 16-21 aout 1937
[5] Encyclopédie française. Tome 18, La civilisation écrite, dir. Par Julien Cain, Paris, 1939. Repris dans World Brain, 1938, sous le titre de “The Idea of a permanent World Encyclopedia”
[6] Brain World, p.121
[7] Id. p. 121

dimanche 25 août 2013

Salle de concert virtuelle


C’est en achetant un nouveau téléviseur qualifié de téléviseur intelligent, qui est connectée à Internet et sur laquelle, comme sur les téléphones intelligents, on peut installer des applications, que j’ai découvert une application créée par l’Orchestre philharmonique de Berlin (en allemand : Berliner Philharmoniker). Elle permet d’accéder à des archives et à des concerts en direct. J’ai créé un compte par curiosité et j’ai regardé quelques offres gratuites pour me convaincre de son intérêt. Avec un grand écran et une bonne installation sonore, l’utilisateur peut vraiment avoir accès à des contenus de qualité et à une expérience intéressante, à savoir jouir de nombreuses interprétations par des musiciens de classe mondiale, en direct ou sous forme d’archive. Ayant reçu un billet gratuit de la part d’un des principaux sponsors du Berliner Philharmoniker, j’ai aussi assisté, cette fois sur mon ordinateur, également pourvu d’un grand écran, au premier concert de la nouvelle saison.
Le programme de ce concert était attractif pour le grand public : Sir Simon Rattle a dirigé l’orchestre qui interprétait les Symphonies 39, 40 et 41 de Mozart. On accède à ce que le Berliner Philharmoniker appelle le « Digital Hall » 15 minutes avant le début du concert. On voit les spectateurs s’installer. L’orchestre arrive et enfin le Maestro. La qualité de l’image et du son sont irréprochables. On n’entend même pas les toussotements dans le public. Bien entendu, il faut être pourvu soi-même d’une bonne installation. On peut s’asseoir tranquillement dans son fauteuil et écouter ou bien faire quelque chose en même temps (ce qui ne serait pas admis dans la salle de concert). Durant l’entracte, on nous présente les activités du Berliner Philharmoniker, en l’occurrence un extrait de la conférence de presse lors de laquelle Sir Simon Rattle a présenté le contenu de la nouvelle saison. Petit moment d’émotion à la fin du concert : le chef d’orchestre prend congé d’un violoniste pour qui l’heure de la retraite a sonné après quarante années passées dans cette prestigieuse formation.
Digital Hall Berlin Philarmoniker
Digital Hall Berlin Philarmoniker

Digital Hall Berlin Philarmoniker
Le Berliner Philharmoniker a une longue tradition d’exploration des nouvelles technologies pour la diffusion de la musique classique. On le doit surtout au fameux chef Herbert von Karajan qui en a été le directeur de 1955 à 1989. Von Karajan était fasciné par la technologie. Il a donc fait œuvre de pionner dans l’enregistrement d’œuvres musicales, notamment par l’adoption du numérique. On lui doit plus d’un millier d’enregistrements.
Contrairement à Herbert von Karajan, Sergiu Celibidache, qui dirigea brièvement le Philarmoniker après la guerre et pour lequel von Karajan nourrissait une solide inimitié, ne croyait pas que la technologie pouvait contribuer à la diffusion de la musique, notamment par le moyen d’enregistrement. De fait, il a peu fixé de ses interprétations sur des galettes et les enregistrements disponibles aujourd’hui proviennent de concerts données pour des radios. Cela contribue certainement à la légende qui entoure le chef roumain. Celibidache affirmait en effet qu’un concert enregistré sur disque ne pourrait jamais rendre la totalité de l’expérience et des “épiphénomènes” vécus lors d’un concert donné en salle 1). En ce qui concerne la salle de l’Orchestre philharmonique de Berlin, il faut savoir que c’est un endroit dont l’architecture est tout à fait particulière, puisque le public se trouve aussi bien devant que derrière l’orchestre. Sa qualité sonore est donc unique et, sans avoir vécu une performance dans ce lieu (ce qui est mon cas), il est difficile de savoir si cette qualité unique se retrouve tout ou en partie dans l’expérience en ligne.
Avec le Digital Hall, nous avons affaire à une sorte d’extension de la salle de concert. C’est une véritable tendance. Le Metropolitain Opéra de New York et le Bolchoi de Moscou ont aussi une offre de concerts en direct que l’on peut voir dans les cinémas. Même le British Museum offre des visites guidées sous cette forme. Dans un domaine différent, des plateformes comme Coursera permettent d’agrandir considérablement l’audience d’une salle de cours. La question fondamentale est de savoir si l’expérience du spectateur du Digital Hall ou des salles de cinéma est identique à celle de la personne assise dans la salle. Il faut répondre avec honnêteté que ce n’est pas le cas. Dans le fond, cette expérience n’est pas si nouvelle que cela. Nous l’avons déjà tous vécu avec des manifestations sportives à la télévision. Ce qui est nouveau, c’est que cette recette s’applique maintenant aux événements culturels. Pour des institutions comme le Philarmoniker, cela permet d’augmenter l’audience et (éventuellement) de générer des recettes. Pour les spectateurs, cela permet d’ouvrir une lucarne sur des offres musicales avec des interprètes d’exception auxquels ils n’auraient pas accès autrement. Il n’y a aucun risque de voir le public déserter la salle réelle au profit de la salle virtuelle. Au contraire, cela accroît encore sa réputation et ceux qui auront la chance ou la possibilité de se déplacer à Berlin ne manqueront pas d’essayer de se procurer des billets.
1). Wikipédia, s.v. Sergiu Celibidache

mercredi 31 juillet 2013

Fête nationale

Google a pensé à l’anniversaire de la Suisse …
Google Dooddle pour le 1er août

Tous les cantons et demi-cantons y sont.

dimanche 30 juin 2013

A la fortune du pot

Les créateurs de Branch lancent un nouveau média social : Potluck. Ce terme anglais signifie “à la fortune du pot”. Il fonctionne sur le même principe que Pinterest. Grâce à un petit bouton qu’on installe dans la barre des signets du navigateur, on peut envoyer des pages Web sur son compte Potluck. On peut aussi voir et commenter ce que ses amis postent.
Potluck
Ce nouvel arrivant illustre bien une tendance des médias sociaux : ce sont maintenant les contenus et non plus les utilisateurs qui sont au centre des applications. C’est déjà clairement le cas de Pinterest et son système de partage d’images et celui de Tumblr, qui permet de publier divers contenus. La relation sociale ne suffit plus à alimenter la conversation. Il est nécessaire d’amener des contenus de qualité.

dimanche 2 juin 2013

Le renouveau de l’éducation supérieure en ligne

Après ses études en Israël, Daphne Koller est partie aux Etats-Unis. Elle a fait son doctorat à l’Université de Stanford et, aujourd’hui encore, elle donne des cours dans le domaine de l’intelligence artificielle dans cette prestigieuse maison. Sebastian Thrun a fait ses études à Bonn, en Allemagne, avant de rejoindre les Etats-Unis. Il est également professeur à Stanford. En 2005, il a gagné le Darpa Grand Challenge,  une compétition mettant en jeu des véhicules terrestres sans pilote et autonomes. A part leur parcours à Stanford, un autre point commun réunit ces deux personnalités. Toutes deux ont fondé une plateforme d’enseignement à distance offrant des cours de niveau universitaire gratuits.
Coursera, créé par Daphne Koller et Andrew Ng, offre depuis avril 2012 des cours de prestigieuses université essentiellement américaines. Des hautes écoles d’autres continents apparaissent aussi dans la liste. Ainsi l’EPFL mettre à disposition les premiers cours en français. Les cours couvrent des champs divers, de l’informatique aux sciences sociales. Udacity, fondé par Sebastian Thrun, propose des cours essentiellement d’informatique, de physique ou de mathématiques. Le cours le plus célèbre est celui qui explique comment réaliser une voiture sans conducteur.
La formation à distance n’est pas nouvelle sur Internet. On peut même dire qu’elle a subit elle aussi le même sort que le commerce électronique sur Internet. Dès les débuts du Web, de nombreuses personnes ont pensé qu’Internet jouerait un rôle déterminant dans le commerce et dans l’éducation. Parallèlement au gonflement d’une bulle spéculative qui allait entraîner une première crise grave sur le net, de nombreux programmes et sites d’éducation ont vu le jour. La Suisse avait créé par exemple le Campus Virtuel, qui fut en fait une véritable déconfiture. Jacques Perriault a bien analysé les causes de cet échec dans son livre « L’accès au savoir en ligne » (2002). Les promoteurs de l’éducation sur Internet ne se sont pas intéressés à ce qui s’était déjà fait en matière d’éducation à distance, un domaine qui avait pourtant une longue tradition. Les échecs subis par les premières plateformes d’éducation ont fait long feu et il a fallu attendre longtemps jusqu’à ce que de nouvelles initiatives voient le jour. Seules se sont répandues les systèmes open source comme Moodle permettant à chacun de créer une classe virtuelle.
2012 voit donc l’émergence de plusieurs plateformes importantes. Le succès est immédiat. Lancée en avril, Coursera a plus de 2 millions d’utilisateurs en décembre. Un cours peut attirer entre 40’000 et 50’000 utilisateurs. Le seul cours pour lequel j’ai des données fait état de 2500 certifiés au terme du cours, ce qui représente 5%. Ce pourcentage est un excellent taux d’engagement en ligne, quand on songe à l’investissement en temps et en énergie nécessaire pour assimiler l’enseignement. Le premier cours offert par Udacity en 2011, consacré à la création d’une voiture auto-conduite et donné par Sebastian Thrun lui-même a réunit 160’000 étudiants du monde entier.
Les cours de Coursera et Udacity sont gratuits. Majoritairement en anglais (l’EPFL donnera tout de même un cours en français), ces cours sont très suivis par des étudiants de pays émergents qui n’ont pas accès à ce type d’éducation chez eux. Certains ont même pu trouver un job grâce à leur certificat. Ces nouvelles plateformes doivent maintenant trouver des modèles de financement pour assurer leur avenir. L’un consisterait à faire payer pour la certification seulement. Un autre donnerait la possibilité à de futurs employeurs de détecter des collaborateurs potentiels par rapport aux cours suivis avec succès.
2013 devra confirmer ce renouveau de l’éducation en ligne. J’ai, à titre personnel, suivi un cours de manière complète sur Coursera. Le cours s’intitulait Networked Life et il était donné par un professeur de l’Université de Pennsylvania, Michael Kearns. La matière était passionnante : structure et dynamique des réseaux. La pédagogie excellente : 3 à 4 vidéos de 15 minutes à suivre chaque semaine, des lectures complémentaires et un quizz correspondant à chaque vidéos. Les vidéos elles-mêmes ne montraient pas le professeurs, mais ses diapositives qu’il commentait en voix off et sur lesquelles il écrivait des notes supplémentaires. Petit raffinement sur Coursera, il est possible de ralentir le rythme de la vidéos, permettant à des non-anglophones de suivre plus facilement. Le sentiment de communauté se crée très vite autour d’un forum de discussion et même sur les médias sociaux. Dès qu’une difficulté apparaît, comme une question incomprise dans un quizz, le professeur et son équipe de modérateur peut réagir rapidement. Au terme du cours, j’ai obtenu mon certificat. J’en étais très heureuse, car cela avait supposé un gros investissement en temps et en énergie. Cependant j’ai le sentiment que les connaissances acquises me seront très utiles et je suis prête à recommencer.
Coursera